Le contexte international actuel a remis à l’ordre du jour la notion de planification que les opérations exploitaient insuffisamment depuis deux décennies. En effet, en plus des conséquences de la crise de la Covid-19, la guerre en Ukraine impose aux entreprises une refonte de leurs Supply Chain, plus précisément de leurs chaînes d’approvisionnement. Elles doivent s’adapter très rapidement afin de maitriser les impacts de l’évolution de leur environnement. La prévision n’est alors aujourd’hui plus seulement un outil de décision Supply mais elle est devenue un outil de direction générale qui aide à définir les orientations stratégiques de l’entreprise. Les dirigeants doivent-il faire primer une stratégie scénario planning ou bien favoriser l’agilité ?
Les conséquences directes de la guerre en Ukraine sur les marchés internationaux.
Les conséquences sur les matières premières :
La guerre en Ukraine engendre des ruptures notamment concernant les approvisionnements en céréales et oléagineux, qui sont acheminés à travers l’Europe et le monde au départ des ports d’Ukraine et de Russie. La hausse des prix des matières premières découle de l’effet de rupture, l’offre devient inférieure à la demande sur les marchés à terme, ce qui génère des augmentations significatives des coûts des matières, déstabilise les marchés et impacte la sécurité alimentaire de certaines géographies. Par exemple, on note en France 3,8 % d’inflation en avril pour le secteur alimentaire [1].
Les effets directs sur les capacités de production :
L’effet de rupture touche directement les plans de production des entreprises. L’indisponibilité des stocks de matières premières en quantité suffisante, ou à cause des prix élevés sur le marché, entraine une réduction des capacités de production et indirectement une baisse de rentabilité des lignes de fabrication. L’augmentation drastique du prix de l’énergie pèse également sur la rentabilité des opérations.
Les contraintes logistiques induites :
L’acheminement des marchandises a déjà été très contraint par la crise de la Covid-19, les taux de fret ont connu des hausses fulgurantes durant l’année 2020. Ajoutez à cela des chargements au niveau des ports de la Mer Morte qui ne peuvent pas s’opérer, par manque de navires. Les armateurs devant souscrire à des assurances significatives, positionner des navires n’est plus seulement risqué mais devient également plus couteux. L’arrêt du Port de Shangaï, par exemple, toujours à cause de l’épidémie de la Covid-19, a des répercussions sur l’ensemble des produits qui sont expédiés depuis celui-ci. Une paire de baskets partant de la Chine pour être acheminée aux USA est en ce moment livrée en 50 semaines (contre 15 semaines en moyenne précédemment). D’après la célèbre marque à la pomme, compte tenu des problèmes d’approvisionnement, leur manque à gagner représente 6 milliards de dollars de ventes ne pouvant pas être conclues [2].
Tout cela a pour conséquence de réduire les marges, d’augmenter les besoins en trésorerie, de freiner les investissements et de réduire leur capacité à reconstituer leurs stocks de matières premières.
Quelles stratégies adopter pour limiter les effets négatifs de la conjoncture sur les Supply Chain ?
Nous proposons une approche stratégique avec des horizons différents sur le court et le moyen terme, pour réagir de manière plus ou moins urgente face aux imprévus.
Sur le court terme : il est possible de réduire l’impact conjoncturel grâce à une revue rapide de la stratégie d’allocation des ressources et de stock.
Tout d’abord, les entreprises peuvent mettre en place une stratégie demand driven pour s’adapter à la demande à court terme et ainsi réduire les délais de livraison. Un arbitrage en fonction de l’allocation des ressources est également possible, notamment pour réaffecter les stocks en fonction des besoins de production et des aléas de la demande également en fonction de la classification des clients.
La notion de VUCA n’est pas nouvelle mais prend tout son sens actuellement (Volatilité de la demande, contexte Imprévisible, Complexité des chaînes logistiques et d’approvisionnement, et Ambiguïté des signaux faibles). Nous évoluons de plus en plus vers un monde complètement VUCA, dans lequel les priorités changent rapidement, l’adaptabilité est devenue essentielle et la maîtrise de l’information doit se faire au plus près du temps réel. Les méthodes que nous utilisions dans le passé pour piloter et gérer nos Supply Chain ne correspondent alors plus aux besoins actuels. Il faut repenser nos modèles de planification.
Sur le moyen terme : la mise en place de simulation et calcul de scénarii pour optimiser l’approvisionnement permet d’anticiper et d’envisager quasiment toutes les options possibles.
La notion de gestion des stocks est importante car depuis plusieurs décennies, les entreprises (notamment l’industrie automobile) étaient dans une logique zéro stock et de flux tendus ce qui, avec les aléas des chaines d’approvisionnement n’est plus vraiment possible, ou beaucoup plus risqué.
Différentes stratégies de relocalisation des achats au plus près de la production peuvent être envisagées. Cela permet notamment de réduire le chemin parcouru par les produits entre l’usine et les zones de distribution. C’est également une façon de garder un certain contrôle sur la production ou sur les approvisionnements. Des partenariats et des contrats de long terme sont également parfois envisageables pour avoir de la disponibilité produit malgré les pénuries, mais ils représentent potentiellement un coût plus élevé.
Le multi-sourcing est un moyen pour diversifier les sources d’approvisionnement afin de ne plus être dépendant d’un seul fournisseur ou d’une seule géographique. Cela constitue un avantage primordial en cas d’instabilité géopolitique notamment. Par exemple, l’impact de l’augmentation des prix de l’énergie a un impact direct sur le coût de la Supply Chain, la production ou l’approvisionnement.
Au-delà de l’approvisionnement, le multi-sourcing permet également de définir des critères de sélection de fournisseurs afin de ne pas avoir trop de sous-traitants impactés par d’éventuelles sanctions financières.
L’approche scénario planning, une solution d’anticipation et de maitrise des impacts sur le long terme
Il est désormais de plus en plus difficile de parvenir à maitriser les événements à venir. C’est pour cela qu’il faut insuffler peu à peu une culture de la gestion du risque et de l’incertitude auprès des directions. Les fonctionnalités du scenario planning permettent, de façon dynamique, de tester différentes options et d’en évaluer les conséquences. Le scenario planning devient donc stratégique, car cela consiste à poser différentes hypothèses sur les futures situations qu’une entreprise pourrait rencontrer, et définir une « rétrospective » pour chaque hypothèse.
Concrètement, les entreprises doivent établir une cartographie de leur Supply Chain avec par exemple le nombre et la capacité des machines, le lead time pour fabriquer un produit ou pour le transporter, les compétences nécessaires à chaque poste, etc. La partie data est fondamentale : l’entreprise a besoin de disposer de toutes les informations (données exogènes et endogène) nécessaires à la constitution des scénario afin d’avoir toutes les clés en main. Ces informations font partie de l’historique d’une entreprise et doivent être précisément collectées et regroupées afin de faciliter le travail d’analyse.
Les évolutions de ces dernières années (digitalisation, capacités de calcul, data) permettent de réaliser certaines actions et analyses inenvisageables lors de la crise de 2008 par exemple. Chaque outil présent sur le marché propose une couverture fonctionnelle adaptée à un besoin plus ou moins spécifique. La modélisation, très utilisée pour le scénario planning est possible grâce à des technologies comme les jumeaux numériques par exemple.
Dans un monde paradoxal en constant bouleversements, les professionnels doivent donc davantage essayer d’anticiper l’imprévisible grâce à des méthodes comme le scénario planning. Le scenario planning permet en effet à une direction générale de se projeter, de tester diverses options et de s’adapter en fonction d’événements probables ou non. Cet état d’esprit et cette méthode dépassent alors très largement le domaine de la Supply Chain puisqu’ils vont concerner les orientations stratégiques de l’entreprise :
- Quels marchés vont devenir prioritaires ?
- Quelles sont les compétences et les ressources nécessaires dans 5 ou 10 ans ?
- Quels investissements structurants pour demain doivent être envisagés dès maintenant ?
[1] Inflation : voici six graphiques pour comprendre pourquoi vos courses vous coutent de plus en plus cher (France Info)
[2] Apple dégage des profits records malgré les pénuries de composants (Le Figaro)