Clément Viola est chargé d’études Logistique urbaine au sein du service Management Mobilité Information Multimodale pour le compte de Grenoble-Alpes Métropole et du Syndicat mixte des mobilités de l’aire grenobloise (SMMAG) depuis cinq ans.
Quelles sont les missions d’un chargé d’études logistique urbaine ?
La logistique est une thématique très transversale, nous travaillons conjointement avec différents services de la collectivité sur de nombreux sujets : la transition énergétique des véhicules, le développement des livraisons à vélo, la mutualisation des flux, le foncier dédié à la logistique, la gestion des aires de livraisons, la prise en compte de la logistique dans les projets urbains et les documents de planification (plan de déplacements urbains (PDU), plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi)), etc.
Notre collectivité est une des premières en France à s’être saisie de cette thématique. Nous avons co-construit dès 2015 avec les acteurs économiques du territoire un plan d’action pour une logistique urbaine durable qui constitue notre feuille de route. Ce dernier est disponible sur notre site et a été signé par une vingtaine de partenaires, dont la Métropole, le SMTC (aujourd’hui SMMAG) ainsi que des entreprises privées comme des transporteurs et des industriels.
Qu’est-ce qui a poussé la Métropole de Grenoble à se saisir du sujet dès 2015 ?
Plusieurs enjeux ont conduit à cette volonté politique de prendre en compte la logistique assez tôt. Une des principales problématiques de l’agglomération grenobloise est la qualité de l’air, notamment liée à sa configuration géographique, entourée par les montagnes. Outre ses impacts environnementaux, il s’agit avant tout d’une question de santé publique puisqu’elle est responsable du décès prématuré de 145 personnes par an dans l’agglomération grenobloise. Les utilitaires et poids lourds qui circulent dans l’agglomération émettent environ la moitié des émissions d’oxyde d’azote et 1/3 des émissions de particules fines, alors qu’ils ne représentent que 22% de l’ensemble des kilomètres parcourus par tous les véhicules. Ils représentent donc proportionnellement une grande part des émissions de polluants.
A Grenoble comme dans de nombreuses villes en France, les poids lourds en centre-ville entraînent par ailleurs des problématiques de nuisances sonores ou de sécurité routière mais ils restent indispensables pour le bon fonctionnement de l’activité économique.
La logistique constitue d’ailleurs un enjeu fort d’attractivité économique du territoire pour les entreprises et un secteur pourvoyeur d’emplois. Dans la grande région grenobloise, près de 4300 emplois sont liés au secteur de la logistique (dont 60% sur la Métropole).
Au vu de la raréfaction du foncier disponible, la question du maintien des activités logistiques à proximité de l’agglomération se pose également pour éviter la multiplication des flux liée à l’augmentation des distances entre les entrepôts et le milieu urbain.
Qu’est-ce qui a été mis en place comme actions au sein de la métropole pour accompagner cette logistique urbaine ?
Une Zone à Faibles Emissions mobilité (ZFE-m) pour les véhicules utilitaires légers et les poids lourds a été instaurée sur 27 communes de notre territoire afin d’interdire la circulation des véhicules les plus polluants et différentes mesures d’accompagnement sont proposées pour aider les entreprises dans la transition énergétique de leur flotte de véhicules. Nous avons notamment mis en place un dispositif d’aides financières pour aider les acteurs à investir dans des véhicules à faibles émissions ainsi que des prestations de conseils gratuites pour accompagner les entreprises dans le renouvellement de leur flotte.
Il y a aussi le développement des infrastructures d’approvisionnement, comme les bornes électriques, les stations gaz ou hydrogène, qui constituent un paramètre essentiel et sur lesquels nous communiquons régulièrement auprès des acteurs du territoire
Nous avons soutenu la création de deux centres de distribution urbaine (CDU) : un situé au marché d’intérêt national[1], qui concerne les produits alimentaires frais, et un deuxième CDU nommé Urby, qui a fait l’objet d’un appel à manifestation d’intérêt en 2017. Il y a aujourd’hui plusieurs CDU Urby implantés dans d’autres villes en France mais celui de Grenoble a été un des 1ers à être lancé. Ce CDU plus généraliste permet d’apporter des services aux entreprises et commerçants pour tout type de marchandises, que ce soit du stockage, de l’approvisionnement à la demande, de la logistique inverse (ramener les cartons, emballages, etc.).
Des actions sont également été menées en faveur du développement des livraisons à vélo avec notamment le programme Colis Activ’, mis en place dans le cadre des Certificats d’Economie d’Energie (CEE) et pour lequel le Syndicat mixte des mobilités de l’aire grenobloise (SMMAG) a été retenu. Ce programme permet d’accorder une prime aux opérateurs de livraisons à vélo qui effectuent des livraisons en centre urbain pour le compte de transporteurs. La prime vise à compenser le surcoût par rapport à une livraison en véhicule et est financée en partie par le SMMAG et par les CEE.
Concernant les livraisons, nous avons aussi mis en place une réglementation avec un disque de livraison qui permet de limiter la durée d’arrêt sur les aires à 20 minutes, pour éviter qu’elles ne soient constamment utilisées par des véhicules particuliers qui stationnent toute la journée et nuisent au bon fonctionnement des livraisons. Cette réglementation a permis de faciliter les contrôles, et de verbaliser les véhicules en infraction afin de rendre les aires plus disponibles pour les professionnels. Une étude a également été réalisée à l’échelle de la Métropole pour recenser les aires de livraisons et identifier celles dont l’aménagement n’est pas optimal en vue de les réaménager.
Une autre étude est en train d’être menée en parallèle sur le e-commerce pour essayer de mieux comprendre ses impacts locaux et les flux qu’il génère.
Les projets de logistique urbaine sont-ils bien acceptés ? Rencontrez-vous des réticences de la part de certains acteurs ?
De manière générale, la population ne perçoit pas toujours très bien ce qu’est la logistique urbaine : l’ensemble de la chaîne logistique et les flux engendrés par l’acheminement de marchandises sont des phases invisibles pour le consommateur.
En revanche, les professionnels sont directement concernés et impactés par les réglementations mises en place. Nous avons eu des retours très positifs suite à la mise en place d’actions comme le dispositif de disque de livraisons ou le programme Colis Activ’ qui sont bénéfiques pour les acteurs de la logistique.
Certains transporteurs peuvent parfois exprimer des craintes vis à vis de projets comme les CDU qu’ils considèrent comme une nouvelle forme de concurrence, alors que ce n’est pas l’objectif. Il est donc important de pouvoir échanger avec eux et de les sensibiliser afin de leur expliquer qu’il s’agit d’un service complémentaire visant à mutualiser certains types de flux et les redistribuer de façon optimisée.
À propos de la livraison vélo, est-elle démocratisée à Grenoble ou seulement le mode choisi par une minorité de commerçants ?
Par rapport à d’autres territoires, nous avions déjà plusieurs acteurs implantés assez actifs sur le secteur de la cyclo-logistique, mais aussi des infrastructures qui s’y prêtent, puisque beaucoup de pistes cyclables ont été développées sur le territoire, facilitant les livraisons à vélo. Pour l’instant, c’est encore une part minime par rapport au flux total de marchandises mais l’objectif ambitieux du programme ColisActiv’ est de passer des 1% actuels de livraisons de colis à vélo à 25% à l’issue du programme, prévue fin 2023. Cela devrait donc inciter de nouveaux opérateurs à s’implanter et amener la cyclo-logistique à se développer.
Les pouvoirs publics, dont les collectivités, sont-ils des facilitateurs de projets de logistique urbaine, en rassemblant les acteurs de différents secteurs ? Quelles sont les principales difficultés dans la conception et la mise en place de projet de logistique urbaine ?
Les collectivités peuvent permettre de créer du lien entre les acteurs en organisant des temps d’échanges, comme le comité de concertation logistique urbaine que nous avons créé en 2015 par exemple. Ce type de démarche permet d’informer les acteurs sur des initiatives vertueuses et de favoriser les échanges de bonnes pratiques.
Les collectivités disposent d’une compétence réglementaire pour « contribuer au développement des services de transport de marchandises et logistique en cas d’inexistence, d’insuffisance, d’inadaptation de l’offre privée afin de réduire la congestion urbaine ainsi que les pollutions et les nuisances affectant l’environnement », mais celle-ci est assez vaste. Elle dépend du SMMAG sur notre territoire.
Par ailleurs, une autre difficulté est liée au fait que la logistique est une thématique transversale et que les compétences sont donc partagées entre différentes collectivités : avec la Métropole sur le développement économique, avec les communes sur le pouvoir de police de circulation/stationnement si elles ne l’ont pas délégué à la Métropole…
Pour conclure, la logistique urbaine est une thématique qui a longtemps été délaissée par les collectivités qui se concentraient sur le transport de personnes mais qui est aujourd’hui de plus en plus prise en compte au niveau national au vu de ses enjeux importants. Le programme InterLUD, piloté par le Cerema vise notamment à accompagner les collectivités à se saisir de ce sujet, en leur apportant un soutien méthodologique et financier pour se doter d’un plan d’action, comme c’est déjà le cas dans la métropole grenobloise.
[1] Marché de gros au statut particulier accordé par les pouvoirs publics.
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